22.12.12

Alfred à Bugarach

Ecrit dans Actualité à 13:19 par Bernard-Roger MATHIEU

depecheLes aventures du Cousin Alfred - inédit (*)

bugarach 2012

« J’ai envie de faire pipi »
Un cri vient de déchirer la nuit. Et pas n’importe quelle nuit.
Eléonore ne se rend pas compte du danger que représente un arrêt inopiné, en pleine nature, sur les bords de la Salz un soir du 21 décembre 2012.
Alors que Mercure, en ascension droite, se balade à proximité du solstice dans un conciliabule dialoguant avec l’alignement planétaire circonstancié Terre, Venus, Jupiter.
Alors que ce cirque interstellaire se joue dans l’œil d’un soleil culminant pilepoil au zénith de la Voie Lactée, trayant de mal en pis, ses dernières formalités frontalières vers un ailleurs inconnu.
La dernière fois qu’il y était venu, c’était il y a 26.000 ans.
Alors on a oublié.
…Pas les Mayas en tous les cas.
Nonobstant leurs variables ajustant leurs coordonnées équatoriales dans la traversée du plan galactique, l’heure est grave.
« T’attendras qu’on soit arrivé à Bugarach. Retiens-toi ! »
Alfred, la fin du monde, ça fait longtemps qu’il l’espère…. l’esprit s’emballant dans les douces et enivrantes délectations de tout envoyer au diable veau-vert… L’esprit enfin baigné dans l’apocalypse du Grand Soir… La verve du verbe fusillant la langue fourchue du capitalisme dénoncé par saint Jean entre l’alpha et l’omega, vilipendé par Dante, persiflé par Marx, flingué dans les cahiers de l’Homme Esprit de Bou Mendil, raillés par Lautréamont….
Enfin, respirer pleins poumons les sulfures bienfaisantes d’un changement éradiquant les Copé, les Fillon, grillant Arcelor Mittal, débusquant les socialistes de centre-droit drapés dans des costumes de gauche trop étroits.
Bref : terminé le carnaval des animaux.
Passer au sixième sens comme aurait dit Saint-Saëns.
Terminer de sculpter la connerie dans ses enluminures télévisuelles au burin du prime-time.
Ahhhhhhhhh ! Un frisson lui parcourt l’échine.
Encore deux kilomètres et en compagnie de ses potes il va déguster la soupe aux choux.
Cet élixir, le met favori de la « Denrée » de René Fallet.
Parce que René, derrière ses grosses lunettes, possède un petit je ne sais quoi qui le fait ressembler à Claude, j’ai toujours cru que ce Claude était son Glaude.
Mais les Glaude, normalement d’essence bourguignonne, pourrait-on facilement penser, fleurissent abondamment dans la Haute Vallée de l’Aude.
Tiens, question : pourquoi Eléonore vient-elle d’être soudainement prise dans les affres d’une inextinguible incontinence urinaire ? Crise de cystite ? Non point.
Ne prenons pas nos vessies pour des lanternes.
Sur le trajet menant à Bugarach vit, au creux d’un vallon, sous la falaise de Rennes-le-Château, un terrestre extra : un certain Marcel. Marcel expatrié belge (ça existe Môsieur Depardieu) a planté l’espoir de ses vieux derniers jours dans un décor à la Daudet. Copain des lapins, de maitre goupil grand amateur de ses poules, des sittelles torchepot et autres engoulevents, Marcel, retiré d’un monde dont il se contrefout de la fin, déguste les derniers moments choisis d’une existence fraternelle. En clair on passe quand on veut.
Veille toujours dans la quiétude amicale une bonne bière Saint Feuillien en souvenir de sa septentrionale La Louvière en Hainaut. Traçant du compas de ses doigts un cœur de mousse, il dresse sa barbe blanche, allume deux yeux de plaisir et dit combien les visites lui font plaisir.
Oui mais la bière cela fait pisser. C’est, dit-on, spécifié jusque dans les meilleures officines, diurétiques.
« Si t’arrêtes pas tout de suite j’inonde la moleskine » dit-elle mesquine.
Alfred avise un petit chemin bucolique adéquat.
Clignotant, coup de volant bienséant, chantant, voletant, incontinent. Coup de patins. Arrêt spontané. Et là, débusqué d’un fourré, le toit bleu d’une estafette en surpopulation gendarmesque dont les képis se dressent.
Marche arrière.
« Je ne veux pas pisser devant les gendarmes » hurle Eléonore les sphincters en alerte rouge.
D’après René Fallet, la soupe aux choux fait péter. Dans un sketch resté célèbre, le Glaude initie le Bombé au pet s’ouvrant aux lyriques digressions astronomiques. Cet appel des « chants de Maldoror », les mains crispées sur les genoux, vaut mêmement pour la bière, aurait dit Joseph Delteil. Dixit Bubber Miley resté célèbre avec ses célèbres « ouah ouah » ventilés dans Créole Love call. Morceau favori d’Eléonore, soit-dit en passant.
Du coup Alfred confie à l’environnement nocturne à travers la fenêtre de la voiture:

« Fais-toi discrète, tu vas réveiller les extra-terrestres avant l’heure ».
Ce discours de la méthode risquant de redistribuer les cartes, il est grand temps de joindre l’auberge du Cardou (réservation 06 40 29 48 04). Derrière les vitres une buée sympathique nimbe une ambiance olfactive où déjà tous les Glaude du coin lèvent les verres en attendant la fin du monde.
Il fait beau… ciel ouvert … le géant de pierre dort dans ses draps de nuages. La montagne totémique ignore le banquet de Platon mais les dieux ne peuvent pas tout connaitre.
Place aux heureux mortels…

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(*) pour mémoire en librairie

- Alfred le Wisigoth (Tome 1) 2005

- Le Retour du Barbare (Tome 2) 2010