Le Secret du MANET Révélé

TitouletteMaman, j’ai peur…Titoulette

 

Ma chère maman,
J’ai pris mon chevalet et je suis venue passer mes vacances dans un bien étrange lieu. Je t’écris ces lignes car je ne sais pas si on se reverra un jour. Ici les gens, paraît-il, disparaissent dans les tableaux.
Ne te frottes pas les yeux.
Tu lis bien ce que je viens d’écrire.
C’est un grand secret.
Un tableau est particulièrement dangereux :
LE DE JEUNER SUR L’HERBE DE MANET.
Il se passe, la nuit, d’étranges choses dans les musées  en province.
J’ai moi-même par ailleurs participé à des soirées particulièrement chaudes. Il a failli m’en cuire.
Au cas où il m’arriverait quelque chose, ne prévient pas la police. Je te prie de bien vouloir récupérer le texte de cette histoire dans une consigne de gare, dont tu trouveras l’adresse en annexe.
Fais très attention aux gares.
Ne parle pas aux inconnus qui t’aborderaient.
 

Hélène de Surgère©



© Préface rédigée au nom et en lieu et place de Hélène de Surgère en hommage à Ronsard
mais aussi aux “ sabots ” d’Hélène de Brassens … bien entendu.1  L’article de presse
La police a été amenée, vendredi, 17h30, à intervenir plage du Prado. Objet : ramener à la raison plusieurs exhibitionnistes trop visibles. Les représentants de l’ordre, prévenus par téléphone, se sont rendus sur place où ils ont interpellé un homme et deux femmes. En tenue d’Adam et d’Eve, ces adeptes du trilogisme  se livraient à des attouchements publics que la morale réprouve. Invités à venir s’expliquer au commissariat, ils ont été entendus sur les dits faits. Une procédure les amènera à répondre ultérieurement de ces actes. En attendant le Paquet les a remis aussitôt en liberté…

comme d’hab ! Ha ha ha ! Ces cons. Ils se sont encore fait pincer. Mais un jour cela finira mal, à force !

Deux hommes installés à la terrasse d’un café, à l’ombre des platanes, dégustent une bière bien fraîche.  Trois doigts de mousse coiffent une pils pour l’un, une pale ale pour l’autre.
Ce décor à la Eugène Guérard, se complète par quelques touches personnalisées. Ici des affiches de Théophile-Alexandre Steinien. Là, une enseigne, sous une esconce, indique que nous sommes au Café des Artistes, chez le père Clairbois et fils, rue Montmartre.
Une rue Montmartre dans une ville loin de Paris où se cultive le charme capital d’un passé riche en souvenirs colorés.
En creusant dans leur relationnel, pipelettes, concierges et autres escournifleurs patentés ne mettent à jour, en réalité, que d’épisodiques plaisirs partagés de bistrot, entre habitués ordinaires, d’un présent courant et banalisé.
Le premier se nomme Monsieur Paul, sans plus.
Le second répond au surnom de Cézanne.
Monsieur Paul, du genre dandy happy few, croqué façon Giovanni Boldini, grand admirateur d’art, rôde en périphérie d’un monde qu’il connaît peu. Nom d’emprunt, surnom ? Sobriquet ? Allez voir !
Cézanne est l’inverse vidéo. Verbe haut, barbe de corsaire, front dégarni. Tempérament véhément. Deux gros yeux éraillés, le nez fin légèrement arqué tombant avec l’aplomb de tous ceux connus pour leur pif, il flaire de loin les “ emmmmmmmerdements ”, comme il dit. Roi de la faconde, il aime faire le beau. L’art lui, il baigne dedans. Il préside du haut de sa truculence, le CAPA ; autrement dit : le Cercle Artistique des Peintres Amateurs.
Son modèle d’Aix alimente ses conversations riches en anecdotes. Ses imitations font recette.
-   Tenez, la dernière …

 Rire gras. Dans la vie les gens ne rigolent que de leurs propres plaisanteries.
Monsieur Paul : rire maigre.
-   C’est quoi cet article que vous venez de lire ?

Soudainement sérieux, Cézanne se mouille le pouce. Reprend la page. Lunettes sur le front, il scrute Monsieur Paul comme s’il voulait lui faire le portrait.
Il sait déjà que l’affaire va faire du bruit dans le Landerneau. C’est écrit dans Le Télégramme, le quotidien local. Mauvais temps les collègues !
Il vient donc de tomber sur un entrefilet sous la rubrique des faits divers.
-   Des “ fesses diverses ” ! Majore l’homme un brin coquin trivial en roulant  des quinquets, tant le sujet illustre bien un genre particulier.

 Les sous-préfectures françaises ne dorment que d’un œil. Elles ne manquent ni de fantaisies, ni d’attraits. Encore faut-il pénétrer par la bonne porte. Pour employer une image tirée du Satiricon, à moins que cela ne soit de l’Art d’Aimer d’Ovide : “ les corps constituent les lieux de prédilection, de délectation, de jouissance… ”
L’histoire qui suit ripoline de couleurs fraîches, et sous un jour nouveau, une vieille  litote qui dit qu’il n’y aurait de bon bec que Parisien. Il s’en passe de belles sous les cieux provinciaux que certains pensent amorphes. Et, plus c’est tranquille, moins on se méfie. Ici, tout le monde se connaît. Cela peut-être un inconvénient, mais aussi un avantage par les temps qui courent. Avant de tremper sa mouillette, mieux vaut connaître l’origine de l’œuf, sa fraîcheur ; est-il du jour ou de l’ennui ?
Bref, ceux qui veulent jouer sur leur terrain, à domicile, marquent parfois et même souvent, plus de points que ceux qui veulent aller se divertir du côté des risques inconnus de plus en plus probants de la capitale ou des grandes métropoles.
Si certains répètent à l’envi : “  Et comme disait l’Evêque, surtout jamais dans le diocèse ”, c’est peut-être pour tromper l’adversaire.
Cela vaut parfois la mutation précipitée de fonctionnaires ayant failli à la discrétion, mais en tous les cas cela ne change en rien les mœurs de ceux qui restent. De plus, cela met du renouvellement dans les rangs des acteurs. Ce qui suit n’ira pas à l’encontre de cette vérité première.
-   Vous avez une idée sur leur identité ?

-   A tous les coups et je parie là dessus un kilo de Coucougnettes du père Francis Miot que cela ne peut-être  que Jason et sa femme Cécilia. Ils ont dû faire le coup à une nana qui passait par-là.

-   C’est quoi leur truc ?

Cézanne plie le journal, tire sur la pointe de son chapeau, siffle le fond de son verre et pioche cinq Euros dans sa poche gousset.  Le garçon répondant au nom de Gaudeamus a compris. Il arrive en trois grandes enjambées  félines et énergiques, moustaches en guidon de course au vent, petit chiffon sur l’avant bras et plateau fourchetté sur trois doigts. L’homme, d’un index circulaire, fait signe de prendre les deux consommations. Tandis qu’il déchire les tickets, il en profite pour se lever. L’autre, les sourcils au plafond, attend une réponse à sa question huilée de salive. Elle se fait attendre.
-   Alors ?

-   As-tu entendu parler de Toulouse-Lautrec mon coco ? Tu vas me répondre que oui et pourtant je t’invite à relire l’histoire de sa vie. Après tu prendras ton pinceau et tu pourras te lancer dans l’art.

Trouve le livre de François Gauzi.

D’un petit claquement sonore il dépose 10ct de pourboire, fait signe à la compagnie et part. Un dernier sourire dans les yeux, bien énigmatique, achève sur place son interlocuteur et le laisse  bouche bée.