Mes plaisirs…Tournié se livre

Une ombre sur le chemin, par Jean-Yves Tournié
Les Editions du Mas - 218 pages: 20€ - juin 2012

« Plus bas, vers la Brougue, marchait une ombre sur le chemin… » par ces mots se termine le bouquin.
Mais l’esprit, lui, continue à trottiner, refusant la fin, enchainant son implication dans les pas d’une histoire que le lecteur que nous sommes aurait aimé poursuivre.
François, Laure, Léonie, Joseph qui peuplent le texte de Jean-Yves Tournié nous semblent si proche que le temps d’un livre nous les a intégrés à l’intime, rentrés dans la famille. Notre famille. En tous les cas dans un monde nôtre. Repérable.
Si on ne sait pas toujours où l’on va, on sait d’où l’on sort. Cette boussole pour regarder devant, cela a pu être un lieu mais aussi une époque, une ambiance, un groupe… un identifiable. Un Droit du Sol, du sang, du coeur, d’un choix. Un Devoir.
Et maintenant page 218, il nous faudrait les quitter ? Divorcer ? Rompre ?
Dans une écriture vraie, comme un reportage journalistique, Jean-Yves raconte. Il le fait si bien qu’une fois arrivé à la fin du livre, refusant de tomber dans le précipice de pages vides, vite on se raccroche et me voila à relire le premier chapitre… comme si rien n’était. Mais comment relire ? Comment-changer le cours des choses ? Question si c’était à refaire faudrait-il changer quelque chose ?
Il faut que les choses meurent pour que la vie se poursuive.
Même si l’amour est un handicap, il est en même temps indispensable.
En parlant de la fatalité de la régression de la campagne, de ses valeurs, de ses richesses passées, celles du cœur, de sa convivialité, de ses solidarités, Jean-Yves, s’il fait œuvre de mémoire, quelque part nous convie à une sépulture. On aurait pu de la même façon parler du monde prolétaire du Nord ou de la Lorraine, ou des pêcheurs du Rhône. Partout des enseignements sont à tirer. Il suffit de les regarder et de les faire parler.
Comment, face à une grange mangée par les ronces, ne pas réentendre les bruits des bêtes, des machines agricoles, des enfants qui crient dans la paille ?
Ces enfants que nous sommes.
D’ailleurs la plume fine, Jean-Yves met son talent au service de ce travers. Tout en exaltant nos regards sur la vallée, les parfums qui montent de la terrrrrre, il nous entraine vers l’irrémédiable. « Je sais écrit-il page 188 – rien qu’en regardant le ciel que le marin va souffler trois, six ou neuf jours ». C’est signe que le temps va changer… que les rhumatismes vont se réveiller, que l’histoire de Tournié va tourner vilain.
Un pied dans les Pyrénées, un pied à Paris, le héros, François, écartelé entre deux mondes campe bien une évolution post soixantuitarde avec tout ce qu’elle a apporté de bien, mais aussi en prenant conscience que la société prenait ipso facto un grand virage. Se souvenir, c’est, couvert du regard, un trésor entreposé dans le cœur et dont un sourire, une odeur… ou un livre comme « Une ombre sur le chemin » sert de clef.
Pour ceux qui désirent savoir où ils vont, ce livre est une petite merveille.
Entre nostalgie et espoir, le pessimisme interpelle.
Cela fait longtemps que je n’avais pas lu quelque chose d’une telle qualité à tous les points de vue.