Alfred en… feuilletons
Le jour où « il » disparut
Où tout commença un jour pourtant comme les autres.
La vie d’Alfred, cousin monté à Paris, basculait tout à coup brisant des années d’efforts, d’abnégations, de concessions, de dévouement et de sacrifices.
Braves gens n’ayez plus peur du boulot, voici l’histoire d’une lueur d’espoir.
(note: là où se trouve le logo se situe le nouvel ajout… cet exemplaire du livre, n’est pas le livre que vous avez pu acheter en librairie. Il s’agit d’un ” collector”, une mouture non modifiée où vous trouverez quantités de choses qui ont disparu au lavage, pardon à l’impression pour diverses raisons)
Swlaaaaack !
Et queuje vouz’y reprenne plus !
La porte en se refermant a fait un drôle de bruit.
Dégondant un pan de vie… lézardant des années linéaires de fidélité indéfectible … zappant l’image craquelée d’un vernis mirage qui ne tenait plus aux hardes d’une existence spécieuse que par un dernier fil d’illusion.
Témoin, ici vient de tomber, sous tes yeux, aux pieds de l’idole Sainte Bosseuse, les dernières vitres cassées du temps.
L’air passe, un courant d’air s’instaure. Quelque chose d’important vient d’avoir lieu.
A l’intérieur du bureau directorial on entend un homme à l’invective prolifique et abondante:
non mais, des fois… J’n'arrête pas d’lui dire etc. etc. etc.
Bref tout ce qu’un patron impoli et mal élevé, par une nounou payée au noir, peut dire dans ces cas-là.
Dans le couloir, aux abris, faisant tapisserie, comme si aucun séisme n’avait jamais eu lieu,
les secrétaires, l’homme de ménage et un client regardent, au choix, le sol ou le plafond, où alternativement l’un puis l’autre.
Seul Monsieur Alfred Boufart regarde devant lui.
Il vise la porte. Lui, visage de glace, sourit, rigole, s’esclaffe aux éclats dans sa tête.
« Swlaaaaak ! » décidément ces portes que l’on claque un peu fort font toutes le même bruit dans cette boutique.
L’odeur du couloir tranche. Non pas qu’elle flatte un peu plus la sensibilité olfactive, cela pue autrement. Le vrai parfum de synthèse ( vous avez la possibilité lavande, la plus commune, mais aussi rose, arum, asphodéle, artocarpus, asclépiadacée telle que l’asclépias recommandée au même titre que l’assa-foetida dans les milieux « speedés »), tout cela, aseptisant les vraies odeurs indésirables et dépersonnalisant les lieux.
C’est la première fois que M. Boufart s’en aperçoit.
Idem pour l’ascenseur, idem dans la rue, idem dans le métro, idem chez M. Costecalde l’armurier chez qui il vient d’entrer sans y réfléchir.
- Alfred Boufart: C’est pour la chasse au gros
- L’homme de l’arme : Quel genre ?
- AB : Gros con du genre pignouf classé Proconsul africanus, né
sous le signe tordu du poison violent.
L’homme désarme. La bouche bée lui bée encadrée de fines moustaches de Smilodon. L’interrogation sensible, il fonce le nez qu’il soulève du mieux qu’il peut, freinant ainsi un glissement sauvage et mal contrôlé d’une paire de lunettes tentant de se faire la paire. Ce faisant il découvre deux énormes canines carnassières flairant les proies faciles.
L’homme s’alarme. Danger ! L’espèce qui vient de faire irruption sur son territoire n’est pas comestible :
· Ce n’est pas encore l’ouverture souligne, sans abstention, chasse-pêche et extrême-onction, le ton définitif vivisection, le vendeur hors saison. Cela ne saurait tarder, je vous l’octroie aisément, mais je vous assure que je n’ai pas reçu l’arrêté.
C’était un lundi.
Avez-vous remarqué combien les lundis assument leur lendemain des dimanches ? Et depuis toujours, sans rien dire. Lundi noir, lundi sombre, lundi grisaille. Quelle réputation. D’où l’expression « Mais t’en fais une de tête ». Et l’autre de répondre invariablement :
« Mouais, comme un lundi ! »
Sur le trottoir les gens le doublent d’un pas rapide évitant les flaques d’eau.
C’est fou ! Une caméra en angle de banque l’observe.
Depuis combien de temps pointe-t-elle son œil d’un anthracite impersonnel ? Il passait là tous les jours. Fonçant comme un météorite. Marchant par habitude, sous les arcanes inconnus d’une quotidienneté banalisée, il s’était ritualisé jusqu’à ne plus rien voir. Il ne l’avait jamais remarquée, trop pris, probablement, par son travail, le stress et ses soucis. Sur ce, sourcils surpris, il marqua un temps d’arrêt.
Les gens mettent des alarmes partout : voiture, maison, propriété ..
La suite dans notre prochaine édition …
suite n°2…. pour ceux qui suivent !
Lecteurs attentifs nous disions donc …
Les gens mettent des alarmes partout : voiture, maison, propriété ..
« Vitesse, sécurité, argent », cette trilogie résonne comme la devise d’une république sans citoyen. On ne met plus les pieds à la mairie pour voir fonctionner sa commune. On regarde la télévision. On, c’est les soldes vieux de chères valeurs que l’on nous dit désuètes. Et on finit par le croire.
«On» finit par ne plus lire le journal local. Il ne va plus au bistrot. Ne prend plus le temps de faire sa sieste. «On» , a autre chose de plus urgent à faire. Il suit les dernières aventures politico-judiciaires des politiques parisiens.
« On » pronom indéfini et imbécile. On se cache operculé, noyé, occlusé dans la masse. Tous pour un, tous pourris … C’est ce que l’on dit, c’est ce que l’on croit sans vérifier.
«Bandeau sur l’œil, c’est le collabo qui sommeille dans un fauteuil».
Alfred Boufart y pense en passant. Petite pichenette sur le front, dans lequel se cache le «on». Qu’on ne se méprenne pas les cons sont partout. Tiens, à commencer par lui! En arrivant dans le Nord, la première fois qu’il prononça son nom, il fit tourner toutes les têtes. Elles étaient bizarrement fendues de sourires larges comme des figues trop mûres, ou comme una cogoria ( courge ) entamée d’un large quartier sur toute sa longueur.
« Boufartigue ?! ? - avait relevé le chef, inquiet - d’abord, article premier, un vendeur
n’a pas d’accent, surtout pas celui des vacances. Il faudra faire un effort pour
corriger cela. Avec les clients, il faut faire sérieux. Comprenez, cher ami, je dis cela pour votre bien si vous voulez faire carrière chez nous».
Buvant son demi, à la terrasse, par réflexe, il écrase une mouche. Une mouche de moins.
« Nous sommes pour les dieux, ce que sont les mouches pour les enfants capricieux ; ils nous tuent pour s’amuser ». Il se souvient tout à coup de cette phrase lue quelque part dans Shakespeare. « Le Roi Lear » ? Il vérifiera. Les mouches vont-elles s’en apercevoir ? Du coup, il perd l’envie de buter son patron. Un de plus, un de moins …
Allons, demain, il pensera à autre chose, et lui aussi.
Le lendemain matin, le bureau de M. Boufartigue resta vide.
Par trois fois le patron passa devant la porte ouverte, laissant traîner un oeil.
Il alla aux vécés, cet havre de Paix, manière de voir si Alfred ne s’y trouvait pas.
Dans le couloir, la secrétaire, l’homme de ménage et un client regardaient soit au plafond, soit à terre.
Tout à coup le client, leva le doigt : « Dites, vous ne savez pas, si M. Boufart va arriver et quand ? »
La secrétaire n’eut pas le temps de répondre. Elle avait la bouche ouverte quand le patron, sortant de son bureau, comme un lapin d’un terrier envahi de furets, expliqua : « Alfred… Euh, Monsieur Boufart est souffrant… il m’a demandé quelques jours… demain nous en
saurons plus… laissez vos coordonnées au secrétariat; nous irons vous voir… »
Plus personne ne revit M. Alfred Boufart.
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II - Une absence inquiétante
Où le patron commence à trouver la plaisanterie douteuse, fâcheuse pour ses affaires.
Il entame des recherches.
Longtemps le bureau, son bureau, fut inoccupé.
« Il va revenir, c’est sûr. C’est toujours comme ça que cela se termine. Il ne peut pas nous faire ça. A nous, SON entreprise. Il a une famille. De nos jours, il faut faire attention. Y’a les traites à payer. Le capitalisme les tient, là, à la gorge, bien serré. lls ont tout juste de quoi respirer il n’osera pas le chômage. Demain, il est là, les mains derrière le dos, la tête baissée, là, devant mon bureau », s’employait à dire l’employeur.
S’enfermant à double tour dans les réserves, et sans passer par le standard, il sonnait régulièrement chez M. Boufart ( avec son mobile pour faire plus discret ). Sans faiblir, le répondeur lui renvoyait la voix de Mme Boufart. Puis, un jour, il n’y eut plus de répondeur.
« Le numéro que vous demandez n’est pas attribué » .
Le « général manager » ( c’était écrit sur sa carte de visite ) de M. Boufart eut comme une angoisse. Gorge qui gonfle. Pouls saccadé. Yeux qui se troublent. Le rouge au front. Les nerfs qui se tendent. Petite sueur dans le dos. Mains qui s’étranglent. Lèvre supérieure qui se mord. Sourcils qui se rejoignent nezanez. Pupilles qui foncent. Mâchoires qui sciurent. Menton qui procéphalique. Cerveau qui serf velte (1).
Refus caractérisé d’évidence. Pourtant, cette fois, il était bel et bien passé dans le camp infamant d’ex-employeur. Un employeur non employant est un doigt sans bouton, une inutilité futile, un entreprenant sans entreprise … surtout quand ce n’est pas lui qui décide de la vie des gens. Le sens de l’Histoire bifurquait, insultait le bon sens, prenait les giratoires sinistrorsum. La moutarde lui monta au nez :
« Grosmyardediu. Cela ne va pas se passer comme ça. Non mais des fois!»
Comme les bouledogues qui ne desserrent pas si facilement les crocs. Comme ces hommes d’affaire d’enfer que l’on jette par la porte et qui reviennent pas la fenêtre. Comme tous ceux qui sont longs à la détente et qui ne comprennent rien du premier coup, l’employeur, lent ployeur, qui plie mais ne rompt pas (1), resta en piste.
Mais rien à faire.
L’appartement était vide.
On n’avait plus vu les Boufartigue depuis quelques jours.
Dans le quartier, on ne se souvenait plus exactement.
Chez l’épicière, l’ardoise avait été réglée.
L’eau, le gaz et l’électricité avaient, après le téléphone, été coupés.
On ne les avait pas vus déménager.
On ne savait pas où ils étaient allés.
Mis à part le patron, tout le monde semblait s’en foutre.
« Paraît qu’ils ont gagné au loto!» cracha de dépit avec son mégot, un voisin mal rasé, pas très frais. Jamais plus, rue des FFI , on ne les revit.
Bientôt l’appartement fut reloué. Quant au bureau de M. Boufart, il fut réoccupé bien que sa plaque ne fut pas retirée tout de suite. Arriva un incapable devenu souffre-douleur du patron. Ce dernier citait en référence la qualité professionnelle de M. Boufart tandis que les
secrétaires, l’homme de ménage et le client, dans le couloir, regardaient au plafond ou à terre.
Les gens continuaient de courir sur les trottoirs.
Mais ce fut sans Alfred, monté un jour de lointaine jeunesse à la ville pour un emploi qualifié. Des années et des années, il avait, poliment, dit bonjour à la crémière normande du coin, exhibant deux seins de profession ignorant la génuflexion.
Un jour, un huissier, cahier dégainé, vint saisir la crémière qui avait caillé. Attrapé par ce coup du coquin de sort, il avait tenté de raisonner l’homme de loi, expliquant, sur sa bonne foi, combien la crémière était obligatoire dans une rue où elle amenait la vie, le lait et le beau. Déjà là, Alfred avait dérapé.
On n’entrave pas la marche du quotidien.
On plie et ne rompt pas (2).
On se plie.
On s’adapte.
On prit donc l’habitude de ne plus voir Alfred.
D’ailleurs la police resta en dehors du coup. Même quand le patron tenta de le faire rechercher par un service nommé : « Dans l’intérêt des familles » . « Adressez-vous à la Préfecture » lui dit-on au commissariat central où, de toute façon, Alfred, après vérification d’usage, n’était pas au fichier. A la Préfecture, un employé demanda au patron s’il était un proche ? « Presque » répondit-il, mais ce n’était visiblement pas assez.
Dans ce quartier sans sa crémière, personne, ou presque, ne connaissait véritablement
M. Boufart.
« C’est un Monsieur bien gentil et bien poli. Au moins lui, dit bonjour en entrant!» informa le mastroquet. « Mais à propos, il me semble que cela fait une paye qu’on ne l’a pas vu » releva-t-il en baissant, mine de rien, un coup d’œil vers le niveau de la bouteille étiquetée « Tour Saint-Martin». Le tabac, le loto, mais c’est bien sûr. Pressant le pas, poussant la porte, il se retenait pour ne pas hurler: « Combien ? Il a gagné combien?» L’homme regard éteint, comme un cigarillo ayant arrêté de fumer, le vendeur patenté de bronchites chroniques fut plus précis : « Le dernier jour ?… cela remonte au lundi 4 du mois dernier. Il n’est pas venu chercher le journal, ni ses cigares ».
Cela faisait donc près de deux mois. En tous les cas, il avait disparu avec son épouse, le jour même de l’algarade au bureau. Cela rendait le patron d’autant plus décontenancé.
Il passa des annonces dans les journaux, les vrais, ceux du terrain qui sentent bon le terroir à l’heure des croissants ou du pain grillé baignant dans l’arôme d’un vrai café frais. Ceux qui sentent la confiture du verger. Ceux qui gardent les feuilles bien grandes pour ne pas ressembler à ceux qu’on chiffonne dans un métro. Ceux qui font partie du rite rural ancien accepté où - écrit si élégamment Philippe Delerm dans son précis de société: La première gorgée de bière (éditions Gallimard, collection L’Arpenteur ) - on y lit que « le monde se ressemble, et que le jour n’est pas pressé de commencer ».
Il adressa donc des annonces pour les colonnes du Petit toulousain, des DNA, Lyon Matin, Le Journal du Centre, La Vie Ouvrière, La Raison, La République des Pyrénées, la Charente Libre, France Antilles, Le Progrés, l’Yonne Républicaine, L’Ardennais, Le Berry Républicain, Le Bien Public, Le Maine Libre, L’écho Républicain, Nord Matin, Nord éclair, Le Courrier, La Montagne, La Sambre, Le Havre Libre, Le Méridional, Le Réveil de l’Yonne, L’Indépendant, Ouest-France, la Voix du Nord, Presse Océan, Le Provençal, SudOuest, Le Télégramme de Brest, Var Matin, Nice Matin, Corse matin, l’Union… et même la Dépêche du Midi. Rien n’y fit.
Môsieur Boufartigue s’en était allé.
Probablement sur une autre planète.
Dans une autre vie.
Loin!
Loin des gens qui courent!
Loin des heures de bureaux qui hachent la journée en parties distinctes et organisées!
Loin des alarmes, des sirènes qui traversent le boulevard, de l’obligation de fermer les portesde sa voiture, celles de son appartement avant d’aller coucher le soir!
Il poussait enfin les volets de cette vie trépidante.
Repoussait les gagnes-petits des minutes qui tombent, bien remplies mais mal utilisées.
Déchirait le rideau gris d’une vie qui, mois après mois, année après année s’était imposée au nécessaire train de l’existence.
Un soir, d’ailleurs, fouillant ( au sens archéologique ) sa bibliothèque, il était retombé sur un livre de jeunesse : « Tartarin de Tarascon ». Ah! Daudet ( Alphonse, pas son fils Léon qui rime avec une autre chanson ), les moulins du Midi, l’odeur de la garrigue …
Comme tout le monde, l’été, les Boufartigue, retrouvant un courant d’amont, celui remontant aux sources, se laissaient happer cycliquement, tels les salmonidés attirés un beau jour vers leur lieu de naissance. Ils tombaient dans le grand sablier de l’autoroute déversant la France du haut vers les plages du bas. Sous les pavés, la plage … et sous la plage le portefeuille qui plonge. Ils savaient ça par cœur mais s’étaient habitués.
Après un semblant de récré, il fallait remonter. Descendre c’était plus facile … L’ai-je bien descendu ? Et c’est ainsi qu’un jour, fondant les plombs face à une adversité générée par l’appât de l’argent et dégénérée sur les pas des agents contre nature … il a descendu cette vie.
Tirant dans son décor dépeint, à bout portant.
Tirant, comme on tire une chasse d’eau.
Se tirant, tout court.
Notes
1)Le « lent ployeur» qui plie ( cède ) mais ne rompt ( casse ) pas reste en piste, comme le roseau de la fable.
2) Dans ce second cas: on plie ( part, se casse, plie ses gaules et change d’air ) mais ne rompt pas ( dans le sens de la rupture de toute relation )
PLIE: Dans le premier cas «plie» est employé dans le sens passif du personnage qui consent quelque chose. Dans le second emploi, plier est actif et induit un mouvement, celui du départ.
ROMPT: Dans le premier cas, rompt est employé dans le sens introverti. Il n’explose pas, donc, il s’adaptera. Il suffit d’y mettre le temps avec les patrons. Tous les mêmes! Dans le second cas, Alfred fait la preuve qu’il est un ion libre. Il ne s’adapte pas puisqu’il cesse toute relation.
Si vous n’avez pas compris, ce n’est pas que vous êtes moins vif que la moyenne. Ne croyez pas ça. Mais, reprenez le pinceau et repassez une couche, c’est l’époque pour reprendre des couleurs..
…. bon la suite dans notre prochaine édition….. à suivre comme dit l’autre et à tchao bonsoir…
Alors on en était là, que s’est-il passé ? explications…
Stop!!!
Vous êtes sifflé.
Garez-vous sur le côté.
Papiers …
Vous venez d’assister en direct à un accident de la circulation biliaire, tracassière, singulière, altière, arbitraire, primaire, crépusculaire, scissionnaire…
Un accident de société.
Une rupture des ligaments internes d’une quotidienneté devenue, à force, trop pesante.
Un infarctus du modernisme envahissant; de la course en avant; des habitudes qui robotisent.
C’est comme ça, un jour il y en a qui déjantent, pètent un plomb, ou tout simplement redeviennent sensés. Ils posent les bagages au bord du chemin. Se regardent dans le miroir de leur conscience. Comptent les années qui leur reste à vivre.
Où est la vérité? Est-elle dans la course à payer les crédits ou dans la satisfaction pesée des petits plaisirs de la vie qu’on a oublié de regarder, d’apprécier?
Cela mérite réflexion.
Alors, que devint-il ce Cousin Alfred ?
Tout repose sur l’équilibre subtil de deux notions:
celle du monde proche et celle du monde lointain.
Notions antinomiques ou complémentaires?
Prenez les gens qui voyagent. Ils courent sans cesse après leurs rêves, des rêves qui reculent. L’exercice difficile d’entrer dans le rêve, de regarder avec des yeux d’enfants, de sentir plus avec son cœur qu’avec ses doigts, n’est pas à la portée de tout le monde, mais tout le monde peut chercher après la porte basse du bonheur.
Mais, ici sera le paradis pour l’un et l’enfer pour l’autre.
Ici sera le paradis mais pour combien de temps? Le paradis, cela se travaille, se recrée tous les jours.
C’est comme l’amour pour une femme.
C’est comme l’amitié pour les amis.
C’est comme tous les Castelnaudary de la terre pour tous les cousins du monde.
Si le voyage est une nécessité pour celui qui a besoin des parfums, des images, du dépaysement pour mieux regarder ses rêves de plus près, puisse-t-il ramener de son monde lointain le regard pour voir autrement, avec d’autres yeux, son monde proche.
Il en va ainsi de la nostalgie, et de tout ce que l’on aimerait avoir, que l’on pense avoir perdu ou qui se trouve par-là, dans un Eldorado que l’on pense imaginaire.
Depuis combien de temps n’avez-vous pas regardé votre femme se déshabiller le soir?
C’est le billet du loto que les perdants éternels achètent avec la grande application d’un entêtement récurent et hebdomadaire.
C’est l’espoir de Sisyphe toujours déçu mais qui fait marcher le monde des illusions.
Tout ceci serait négatif si les voyages n’étaient sources d’enrichissement pour ceux qui savent voir. Il suffit parfois de glisser un œil là où la béatitude, le bonheur, la tendresse, la félicité, l’extase, l’euphorie, la convivialité … écartent les jambes.
Dans la série des « madeleines de Proust» voici les aventures du Cousin.
Une philosophie existe sous les minutes du temps il suffit d’être un doigt alchimiste pour en pénétrer les secrets.
Prenez vos billets, M’sieurs - Dames.
Et, en voiture. C’est par là que cela se passe! …………………………….
Notes explicatives
(1) … qui serf velte!!! La velte en tous les cas est un instrument qui sert à jauger les tonneaux. Ajoutons serf qui implique une idée de dépendance et voici donc un cerveau jaugé en état de soumission à des problèmes dont il ne mesure plus l’étendue. Nous pensons que l’auteur a également eut l’oreille musicale. Entre «cervelle» et «serf velte» seules quelques neurones les distancent. Juste devant nous trouvons un détournement du terme :
« procéphalique» qui se trouve être un adjectif mais pourquoi pas procéphaliquer quand on tend abusivement le menton à l’avant? Un jour une personne faisait remarquer à Victor Hugo qu’il avait employé un néologisme: « Maître _ dit-il _ ce mot n’est pas français». VH se lissa les poils de la barbe et répondit: « Ne vous en faites pas mon brave, cela le deviendra».
Pour les deux termes précités nous pensons qu’il coulera de l’eau sous les ponts avant de les voir acceptés par l’Académie française loin de ces plaisanteries phoniques que seule la fantaisie nous autorise.
… la suite dans une prochaine édition.
A venir: voici le sommaire pour ceux que cela interesse
Acte 1
page 4 : I - Le jour où il disparut
page 7 : II - Une absence inquiétante
page 10: Stop ….
Acte 2
page 13 : III - Castelnaudary, tout le monde descend
page 15 : IV - Un ciel à midi plein
page 18 : V - Les complices
page 20 : VI - Embranchement, aiguillage et compagnie ferroviaire
page 25 : VII - Le roi de la place
page 27 : VIII - Le couscous
page 30 : IX - Le dernier des vieux
page 31 : X - A la bonne heure
page 33 : XI - Les emmerdeurs
page 35 : XII - Le sourire
page 38 : XIII - L’apéro
page 43 : XIV - La guerre du cassoulet
page 46 : XV - Barbecue
page 50 : XVI - Agapes républicaines
page 51 : XVII - L’Ambroisie
page 52 : XVIII - Le jardin extraordinaire
page 55 : XIX - Un kilo de plumes
page 58 : XX - L’art de la sieste
page 61 : XXI - Le muguet
page 62 : XXII - L’églantine
page 65 : XXIII - Paulette
page 66 : XXIV - Le manche
page 67 : XXV - Des gars des eaux
page 69 : XXVI - Souvenir d’aile
page 71 : XXVII - Boulot
page 72 : XXVIII - Le mariage
page 73 : XXIX - Les vieux
page 75 : XXX - Le vélo du dimanche
page 77 : XXXI - Impossible!
page 79 : XXXII - La vieille maison
page 80 : XXXIII - Maux de médecins
page 82 : XXXIV - Macrosillon
page 84 : XXXV - Victoire à Lamaison
page 85 : XXXIV - Carte de vacances
page 86 : XXXVII - Le canotier
page 88 : XXXVIII - L’ouverture de la pêche
ACTE 3
page 91 : XXXIX - Obscurantisme
page 95 : XL - Alea jacta est!
ajout du: dimanche 13 janvier 2008
«Un coucher de soleil sur le Bosphore
un verre de vin blanc
et quelques amis pour faire la conversation
voilà qui suffit à mon bonheur.»
Jacques Gamblin dans « Les clients d’Avrenos»
film de Philippe Venault (1995)
d’après une œuvre de Simenon
III - Castelnaudary, tout le monde descend
Où le Cousin, après un parcours initiatique parisien, qui lui a fait découvrir les joies de la capitale, refait le voyage vers sa source.
Retour au pays: pour y retrouver ses bases, ses marques et y refaire ses gammes.
.
La première fois que nous l’avons rencontré, c’était un lundi à Castelnaudary (1).
Castelnaudary est une ville sanguine, rouge comme un foie de bœuf. Les toits de tuiles s’accordent aux peupliers du Fresquel pour donner au paysage son accent de sanglante fraîcheur. Un canal solitaire lui communique cette sorte de paresse aiguë où se complaisent les plus hauts tempéraments (2).
Le lundi dans la capitale du cassoulet, c’est jour de Marché où, dans un bric-à-brac de gestes, de bruits et de couleurs, le tableau esquisse une brassée de mouvements qui tient, par son côté brouillamini, de la Bataille de Lépante (3).
Le cours de la République, sous son généreux parasol de platanes plantureux, respire des secondes qui jamais ne pressent le trot. Le fond sonore est orchestré par les trilles des premiers violons, ceux des habitants de l’étage d’au-dessus.
Aquestos son los musichs. Lo tort, la merla, lo grill, la garsa, la cadernera que canta tot lo estiu. (4)
Dessous: les clameurs, les interpellations dans la bonne humeur, la mise en boîte gentille, les commerces des sourires, des bonjours, comment-vas-tu-et-les-enfants, les cageots que l’on jette, l’odeurs des fruits, et de la terrrre en général.
Grands traits à la Courbet. Les Lauragais, à l’heure où le soleil encore mal réveillé plisse ses rayons, ravinent de partout en rus et filets d’eau agités, courant, sans que rien n’arrête, vers le cours de la République qui les appelle. En cascatelles bruyantes et colorées, ils arrivent, nombreux, versant du sac, comme des épis de blé, du fin fond du pays de Cocagne, en cortèges totémiques comme pour un rituel agreste qu’aurait aimé dessiner Salviati (5). Cette chanson de geste millénaire, répétée hebdomadairement, porte des images, que le temps, et sa grande dépoussièreuse, a laissé, ici, définitivement tranquille. Les marchés du Lauragais
( Revel, Villefranche, Caraman ) telles les pierres séculaires vénérables, gardent le secret de temps révolus, heureuses infiniment, d’un silence propice où la mémoire rumine éveillée des choses du passé. Entre les canards gras et les figues de Marseille, s’élèvent des voix qui tintent sur le cristal de l’air rural. Le marché reste le dernier salon où l’on parle. Souvent, comme Don Juan entre deux paysannes, il faut user sans abuser des conversations surtout sans se fâcher, même si, comme toujours dans le midi, la savante disproportion des choses n’est que le juste reflet d’une réalité plaisante. Si le pitchoun s’est coupé le bras, comprenez qu’il a une belle fracture. Si la mémé est fatiguée, dépêchez vous de porter le costume au nettoyage. Et si elle a été « bien fatiguée» c’est qu’elle est passée par une belle porte. Ce n’était pas encore pour ce coup-ci, mais on y a bien cru. Aussi, Molière, qui était de Pezenas, savait tout cela. Son Don Juan nous apprend qu’il faut savoir, entre deux femmes, dire à la première qu’on l’aime et suggérer à la seconde qu’elle ne déplaît pas.
Et voilà ce marché de Provence qui n’a jamais été de Provence mais du Languedoc Roussillon. L’auteur de cette chanson, Georges Amade, le parolier de Gilbert Bécaud ( qui était du ministère de l’intérieur ), était de Perpignan. C’est un spectacle de rue où ce qui s’achète et ce qui se vend, a autant d’importance que ce qui se dit et se colporte.
A ce sujet écouter et regarder de la terrasse d’un bistrot, à l’ombre, est un régal de rhabdomancien.
Dans les éclats de voix, l’oreille avertie fait le tri. Là, c’est Florentin de la place du marché aux herbes qui invective à son ordinaire. Ici c’est « le Glaude», le chef de gare, demandant ses horaires à la femme du boulanger. Plus loin avec ses moustaches de gaulois, l’organe qui claironne, c’est Serge musclé comme un silo à grain, le « patron» du syndicalisme paysan. Le dos courbé, son pas de souris, ses trois chiens et ses lunettes qui glissent, c’est André, le prof, écrivain, pique-assiette patenté, féru de culture, l’intelligence vive, fennec des sables toujours en alerte et grand distrait.
Puis Patrick, Bernard ou Daniel, les triplés de la politique.
Toutefois, il en est un à part.
Un moment, il avait disparu. Puis, un jour, une femme, des enfants et une valise pour toute trésorerie, il était descendu du train de Paris arrivant à 8 heures 47.
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(1) Castelnaudary, 11.000 habitants, ancienne sous-préfecture; petite ville marquée par sa « bastide» ( vieille ville ) où séjourna Catherine de Médicis comtesse du Lauragais, qui était une de La Tour d’Auvergne. Sa résidence « Le présidial» se visite. Capitale du cassoulet, du Lauragais mais également capitale de l’ancien « Pays de Cocagne». Ce pays que l’on croit souvent mythique, véritable Eldorado, a existé. La richesse s’est appelée « Pastel» ( la teinture du bleu Isatis ), puis blé avec « l’Etoile de Choisy» et aujourd’hui le meilleur blé dur au monde devant les Australiens et les Canadiens, celui que les italiens s’arrachent pour faire leurs pâtes. Pour revenir à la Cocagne, il existe à deux pas de Castelnaudary un village planté au sommet d’un éperon rocheux: Saint Félix de Lauragais. Tous les ans s’y déroule la « Fête de la Cocagne» et on grimpe ( entr’autre) à des mâts pour décrocher jambons, saucissons et autres spécialités de la Montagne Noire réputée ( Lacaune ) pour ses charcuteries.
(2) Ainsi parle de Castelnaudary Joseph Delteil.
(3) La Bataille de Lépante de Vicentino est accroché salle du scrutin, Palais des Doges de la République «sérénissime» de Venise. Vicentino, dans une œuvre monumentale, enveloppe, dans une bruyante coloration, des flots d’actions multipliant les scènes de détails. Le marché à Castel fend cette mer agitée de ses étals où l’on monte à l’abordage.
(4) C’est de l’Occitan. Traduction: « Ecoutons leur musique: la tourterelle, le merle, la pie …» à noter que les oiseaux qui n’ont qu’un nom en général en Français, en possèdent des quantités en occitan. ce n’est pas pour rien si le Français n’a que 80.000 mots et l’Occitan plus de 160.000. Quant à la caderna, il s’agit ici de la cigale …« qui chante tout l’été».
(5) Salviati (1729) aimait les fresques déambulatoires croquées en cortèges évoquant la procession, le carnaval, le théâtral ambulant. Montesquieu était un admirateur. Du « Cortège du Phallus vers la Vulve divine» il écrivait: « Il y a une ébauche de Salviati qui est un gros Priape que les femmes traînent sur un char avec une grande force vers un c.. Elle ont des piques sur lesquelles sont suspendus plusieurs habits de moine. Cela forme une sorte de procession».
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