15.10.08

Machado, je te salue

Ecrit dans Humeur à 9:48 par Bernard-Roger MATHIEU

Antonio
Collioure.

Ce jour-là la mer pleurait une brume par 23° de température.

Une mer à sang chaud se battait les flancs de toute forme de soucis dans l’odeur des poivrons aux filets d’anchois et d’une peinture pas encore sèche de Derain.

Torse de roche battu en vagues régulières. Tempo de Ringo Star sur peau d’oursins.

Ici la patrie post mortem de Machado passe le temps en boucle.

Ce soir-là une mer se murmurait dans un fumato gris caviar beluga double-zéro .

Un jour moite opaque comme un vieux Banyul.

Un jour entre chien et loup.

Un jour faisant oublier ce poème de Machado :

Esto dias azules y este sol de la infancia.

Collioure dort dans la paume d’une colline venant baigner son calme dans une baie frangée d’ailleurs. T’as le bonjour de tous les Albères. Sereine, reine à la traîne couvrant les pieds de la vallée du Vallespir, la rade, tel Cythère, ancre un temps Aphrodite d’éternelle beauté. A deux pas de là, à Vendres, Mérimée aurait parlé de Vénus.

Vaisseaux de toiles, ici Magritte, Braque, Picasso, Foujita, Perrot, Willy Mucha, Augustin Hanicotte et des quantités d’autres s’arrêtèrent mouillant leurs pinceaux dans des pots d’insolente indolence.

Et c’est resté. Peintures indélébiles. Encres de Chine. Emaux et chaleurs.

C’est comme une culture.

L’ailleurs se traduit ainsi. Les pages d’histoire ne se referment pas les unes sur les autres. Elles s’accumulent.

Comme les crus de vin doux dorant des bouteilles additionnant les millésimes.

Comme tout ce qui a besoin du passé pour aller plus loin.

On n’efface pas. On ajoute.

Et un jour d’hiver vint s’ajouter Machado.

Poussé par le vent mauvais de l’Espagne du garrot y allant franco.

Rejeté d’une partie perdue, sa république mortellement blessé, Machado s’échouait coté Francia.

Comme un avion venant se scratcher en bout de piste.

Bougies consumant ses dernières lumières en pays libre, le poète mourrait les mots à la main.

Connaissait-il Collioure ? Il échappait de justesse aux fers du franquisme. Epuisé…

Trois pas suffirent hors d’Espagne

Que le ciel pour lui se fît lourd

Il s’assit dans cette campagne

Et ferma les yeux pour toujours.

Ce texte d’Aragon chanté par Jean Ferrat raconte la fin tragique de ce républicain valeureux. Ce Ché espagnol combattait le poème face aux tanks.

Le cœur blindé il écrivait pour la mémoire des morts.

Il désirait en ce 2 février 39 rejoindre son frère à Paris.

…. 70 ans dans quatre mois. C’était hier.

Ses forces ne lui permettront pas d’accéder à ce dernier vœu.

Il va mourir le 22 février dans l’anonymat sous les balles du froid, du rejet, de sa mise à l’index. La clairvoyance d’un employé des chemins de fer, M.Bails alertera ses amis de l’identité du mort. C’est ainsi que dans une grande dignité toute la population de Collioure se retrouva autour du poète pour lui rendre un dernier hommage.

Collioure dressait le poing de sa reconnaissance face à l’ingrate Espagne.

La rue de la République grimpe. Si elle ne monte pas au paradis, elle escalade un raidillon d’enfer. Un mur. Des toits de tombes passant un œil par dessus tournent le dos à la vie.

Tous peut-être sauf un pour qui le combat continue.

- Antonio Machado, s’il vous plait ?

Un ouvrier repeint une grille. Derrière, enfermés pour l’éternité, il ne reste que des noms gravés dans de la pierre.

L’homme tend son pinceau.

- C’est dans l’allée, à 10m. Vous ne pouvez pas le manquer.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Antonio_Machado

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